Soixante-cinq ans que la France attendait le retour d’une course automobile dans les rues de Paris. Un rêve devenu réalité avec la tenue du premier grand prix de formule électrique samedi 23 avril 2016 aux abords de l’Hôtel des Invalides. Mais ce rêve s’est vite transformé en véritable cauchemar pour une grande partie des spectateurs présents, dont je fais partie. Retour sur une journée annoncée comme exceptionnelle par les organisateurs et les diffuseurs, mais qui s’est vite transformée en véritable horreur…
L’arrivée sur le circuit : le désenchantement
Alors que je me faisais une joie d’accueillir la septième manche du championnat du monde de Formule E depuis plusieurs mois, quelle désillusion en découvrant l’amateurisme des organisateurs de cet événement ! Manque de chance pour eux, j’avais déjà assisté à l’édition monégasque de 2015. J’avais donc un élément de comparaison.
« Faire payer l’accès pour qu’une fois sur place il nous soit refusé ! Même Bernie [Ecclestone] n’aurait pas osé ! » (Cyril, spectateur) »
A peine sortie du métro, je me rends vite compte qu’il n’y a aucune signalisation, ni aucun agent pour diriger les spectateurs vers l’entrée du circuit. C’est à celui qui aura le meilleur sens de l’orientation. Aucune pensée pour toutes les personnes ayant fait le déplacement et qui ne connaissent pas la ville. Bienvenue à Paris !
Après une marche hasardeuse jusqu’à l’entrée du circuit, les visiteurs se plient volontiers aux contrôles des sacs, aux fouilles corporelles et aux vérifications succinctes des billets d’entrée. Il faut rappeler que ces tickets sont nominatifs et imprimés sur une simple feuille de papier A4 qu’il est possible de photocopier en couleur par centaines. Il paraît donc étrange qu’aucune pièce d’identité ne soit demandée en plus des billets.
Enfin, l’arrivée sur le circuit !!! Peu de monde à cette heure matinale. L’événement commence à 08h15 et se déroule sur la journée. Comme la plupart des visiteurs déjà présents, je pars donc à la recherche de LA tribune, tribune repérée quelques jours plus tôt sur le plan mis en ligne sur le site officiel de l’événement. Mais pas la peine de chercher des panneaux de direction les indiquant : il n’y en a pas !!! D’ailleurs, c’est moi ou les gradins sont peu nombreux, peu rehaussés et peu remplis ?!
Après une longue marche dans un sens, puis dans l’autre et quelques informations hésitantes des bénévoles présents pour m’aiguiller, je trouve ENFIN une passerelle pour passer de l’autre côté du circuit. Mais je suis vite refoulée à l’entrée. « Pas d’entrée VIP, pas de passerelle ! », dit l’agent de sécurité. Comment ça un billet VIP ? A quel moment sur le site de la billetterie, ai-je eu le choix de la catégorie de ma place ? Ca ne se passe pas comme à Monaco ? Pas de place assise dans la tribune de mon choix ?
Je comprends alors qu’il va falloir tenir debout une journée complète à déambuler sur le circuit à la recherche d’une vue potentiellement idyllique pour suivre la course. Même combat pour les milliers d’autres visiteurs non VIP qui ont payé leur billet d’entrée, pendant que les VIP invités, eux, ont l’embarras du choix.
Il s’est passé une heure depuis mon arrivée et je suis déjà blasée. Que faire ? Où me placer ? Les monoplaces commencent à tourner sur la piste. Je suis en train de manquer les essais libres.
Je reprends mes esprits après cette première claque de la journée.
Dix ans de pratique des circuits, je devrais m’en sortir. Rapide coup d’œil à mon plan papier. Repérage des virages sur le circuit. Première tentative : échec. Trop de monde et peu de visibilité ! Deuxième tentative : échec. Trop de monde et peu de visibilité ! Troisième tentative : échec. Trop de monde et peu de visibilité !
Par dépit, et pour m’éviter de faire encore des kilomètres de marche avant de trouver un emplacement potable, je me pose à coté d’un couple de personnes âgées venu assister à la course. Je remarque de vive voix qu’une banderole publicitaire a été arrachée. « Il y a du monde partout. On ne voyait rien. On a pris cette liberté », me disent-ils. Comme je les ai bénis ! Grâce à eux, nous avons été quelques dizaines à pouvoir suivre les qualifications.
Enfin suivre… Placés derrière deux rangées de grilles de sécurité – enrubannées de banderoles publicitaires – et à hauteur de muret, difficile de voir les monoplaces tourner en piste. Si encore il y avait un écran géant pour les suivre ou encore les commentaires d’un speaker dans d’éventuels haut-parleurs. Au lieu de ça, j’ai une magnifique vue sur le dôme des Invalides dont je me moque royalement et sur des tribunes vides destinées aux VIP placées face à des écrans géants !
Heureusement que les supporters sont solidaires dans l’adversité. Certains d’entre eux relaient le déroulement des qualifications qu’ils suivent… sur leurs smartphones, pendant que d’autres appellent des proches qui sont devant leurs télévisions. D’autres encore ont tout simplement capitulé et sont allés s’installer dans des bars limitrophes qui diffusaient l’événement. Les plus frustrés sont, quant à eux, rentrés chez eux pour voir la course. D’autres encore, plein d’humour, ont proposé d’offrir des verres aux quelques Parisiens qui suivaient la course depuis leurs balcons à condition de les laisser monter profiter de la vue.
La course, la vraie, n’a pas encore commencé que je me suis déjà mangée une deuxième claque !
Il est clair que je ne verrai rien de la course des quatre pilotes français que je suis venue soutenir (Loïc Duval, Nicolas Prost, Stéphane Sarrazin et Jean-Eric Vergne). J’attends la fin des qualifications et je décide ensuite de me rendre au e-village pour profiter des animations prévues plutôt que de suivre les maigres cadeaux offerts au public sur la piste (les tours de roues de la DS e-Tense, le Renault e-show,…). Les animations : circulez, il n’y a rien à voir !
C’est parti pour une nouvelle marche interminable. Mais ô surprise ! Je m’aperçois qu’une partie du quartier n’a pas été bouclée par les services de sécurité ou les organisateurs. Les gens peuvent donc entrer librement et gratuitement dans l’enceinte du circuit. Oui, des gens peuvent assister à l’événement dans les mêmes conditions que les spectateurs ayant payé leurs billets d’entrée. Et oui, n’importe quel désaxé peut entrer dans l’enceinte du circuit alors que la France est en état d’alerte attentat. Messieurs les organisateurs, permettez-moi de vous dire que vous êtes des amateurs, pour ne pas dire des inconscients ! Heureusement pour vous, et surtout pour nous, aucune attaque terroriste n’a eu lieu sur le site…
Mais quel beau parcours jusqu’au e-village. De jolies cartes postales de la ville de Paris ! C’est bien pour les touristes. C’est bien pour la télévision. C’est bien pour l’image de Mme la maire. C’est bien pour le comité des Jeux Olympiques de Paris 2024 qui espère la retenue de sa candidature. Mais pour les amateurs de sport automobile qui auraient préféré voir la course plutôt que l’Hôtel des Invalides, la Tour Eiffel ou le Grand Palais, c’est ce qui s’appelle jeter de la poudre aux yeux !
Nouveau point de contrôle à l’entrée du e-village. Cette fois-ci, un VRAI point de contrôle avec files d’attente, contrôles des sacs, fouilles au corps et agents de sécurité vérifiant les pseudo-billets codés.
Puis les visiteurs s’éparpillent pour découvrir les maigres animations proposées autour de la mobilité électrique et de la Formule E : un écran géant, un circuit miniature, des simulateurs de course, des informations sur l’innovation, des stands de merchandising, des jeux pour les enfants, des DJ sets,…
Mais que vois-je au loin entre les grilles de sécurité ? Les stands ! Oui, les stands avec les monoplaces, les pilotes, les personnalités du monde de l’automobile, les people et les autres VIP. Bien sûr : inaccessibles pour la caste des intouchables, dont je fais partie, et qui est évidemment maintenue à très bonne distance.
Pourtant, j’ai payé un billet d’entrée, moi. Comme un peu plus de 10 000 autres spectateurs !!! Troisième claque de la journée.
Toutefois, je dois décerner une mention plus pour la séance d’autographes des pilotes, certes désorganisée et musclée, mais qui a offert aux spectateurs un moment unique pour approcher leurs champions de très près. Champions qui semblaient d’ailleurs ravis de pouvoir rencontrer ce public populaire et familial qui leur était totalement acquis.
La course : le désarroi des spectateurs
C’est reparti pour un nouveau trek jusqu’au circuit, mais sans trop d’illusion. Ca va être difficile, TRES difficile, TROP difficile de s’approcher au plus près de la piste pour espérer (positive attitude) voir quelque chose de la course.
Je ne me suis pas trompée. La foule restante (nombreux spectateurs sont partis entre temps) s’est agglutinée en masse dans les allées qui lui sont destinées. Les virages ont été pris d’assaut. De mon côté, faute de mieux, je me contente de la grille de départ. Belle ligne droite où je suis sûre… de ne rien voir, vu la vitesse des monoplaces ! Nouvelle banderole publicitaire arrachée. Aucune pensée pour ceux qui ont peiné pour l’accrocher, si ce n’est des noms d’oiseaux. Les spectateurs non VIP ont payé pour voir une course et ils y assisteront contre vents et marées !
16h00 : le départ est donné. Je mate, puis je zappe. Pour une amatrice de course automobile comme moi, il est impossible de voir quelque chose.
Quatrième claque ! Les néophytes, quant à eux, ont trouvé des moyens plutôt imaginatifs pour essayer de suivre la course : escalader des murets, s’accrocher à des barrières, …
…monter sur des poubelles, ramener des escabeaux, apporter des chaises, franchir la première barrière de sécurité pour grimper sur les échafaudages destinés aux caméras, sauter sur les rampes de sécurité des bouches de métro,… Personnellement, mon plaisir d’assister à la course est plus que gâché ! Je retourne au e-village pour suivre les derniers tours sur le seul écran géant disponible pour les spectateurs lambda et pour avoir une chance d’être bien placée pour applaudir les vainqueurs du jour lors de la remise des trophées.
Le podium : les huées contre le gouvernement et les organisateurs
Ce qui se voulait être un jour de fête pour tous les amateurs de sport automobile, les néophytes du genre et les Parisiens s’est transformé en divorce lors du podium. Si les spectateurs présents ont adoré féliciter les vainqueurs de ce premier ePrix de Paris (1. Lucas Di Grassi, 2. Jean-Eric Vergne, 3. Sébastien Buemi), ils ont tout autant pris de plaisir à huer les personnalités présentes pour remettre les prix ; à savoir : le premier ministre Manuel Valls et la maire de Paris Anne Hidalgo. Etaient également présents à leurs côtés : la maire du VIIe arrondissement de Paris Rachida Dati, le ministre des sports Patrick Kanner, son AS le prince Albert II de Monaco, le président de la Fédération Internationale de l’Automobile Jean Todt et le directeur général de Formula E Holdings Alejandro Agag.
Le E-Prix de Paris : un « e » pour escroquerie ?
La promesse d’une course automobile dans les rues de Paris, avec en guise de décor la Tour Eiffel et les Invalides devant un parterre de spectateurs motivés, intéressés et/ou curieux, semble vraiment avoir plu aux pilotes. Lucas Di Grassi, le vainqueur du jour, ne s’en est pas caché et a même remercié le public d’être venu aussi nombreux, dans un parfait français. JEV, quant à lui, n’a pas caché son plaisir de pouvoir enfin sabrer le champagne devant ses supporters.
Mais alors que les organisateurs, les diffuseurs et les VIP se félicitaient de la réussite et du succès de cette première édition du e-prix de Paris, les visiteurs initiés ou non à la culture du sport automobile ont vite exprimé leur indignation dans les allées du circuit et sur les réseaux sociaux.
« Faire payer l’accès pour qu’une fois sur place il nous soit refusé ! Même Bernie [Ecclestone] n’aurait pas osé ! » (Cyril, spectateur)
« Nous devrions être remboursés !!! » (Carole, spectatrice) – « Une organisation lamentable ! » (Agnès, spectatrice)
« Au départ une idée géniale. A l’arrivée un désastre. Une course auto sans tribune sauf pour quelques élites VIP c’est du jamais vu en 20 ans de circuits. » (Fabrice, spectateur)
Il va falloir que les organisateurs mettent les bouchées doubles s’ils veulent reconquérir le cœur du public et montrer aux yeux du monde qu’il ne s’agissait pas que d’un beau moyen de communication promotionnelle pour la ville de Paris à quelques mois de l’Euro 2016 de football.
Certes, le succès a été populaire pour ce premier rendez-vous. Mais cette grande première n’excuse pas tout ! Le public, dont je fais partie, s’est senti abandonné, pour ne pas dire oublié de ce moment sportif et festif. Soixante-cinq ans d’attente avant le retour d’une course automobile à Paris pour ne rien voir, c’est douloureux pour une passionnée comme moi. Le sentiment que ce rendez-vous a été manqué avec son VRAI PUBLIC qui n’a eu de VIP que son porte-monnaie. Un tel gâchis pour un si bel événement me rend folle. A bon entendeur, salut !
3 commentaires
Juste honteux de voir une telle organisation pour une Grand Prix. C’est parce que c’est de l’électrique ?
Effectivement, l’organisation a été un véritable fiasco… un événement à vite oublier sauf pour ceux qui étaient en place VIP 😉
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